Ici, ne sont que des maux, des doutes aussi...
Les jolies choses, les éclats de rire, les joies, je les garde précieusement, égoïstement, au fond de moi, comme un trésor que l'on préserve du temps....
Ici ? Un simple exutoire... Des bouts de vies, des bouts d'envies, des cris d'écrits, des peines... Au fil de mes jours... Au fil de mes émotions...
A toi qui liras ces lignes, j'ai juste besoin de hurler parfois... Mais je vais bien ne t'en fais pas...

IsabelleC.

mardi 4 novembre 2008

Vendredi 8h30... ou catharsis

 Un essai, un exercice... Rien de plus...

I.

Vendredi 8h30
Elle ne veut pas arriver trop tard à Lyon, et à cette heure de pointe, combien de temps lui faudra-t-il pour rejoindre le périphérique ? Gare de l’Est, Bastille… Elle ne sais plus, elle est perdue dans cette ville. Elle verra bien, elle trouvera bien un panneau qui l’inspirera. Sans compter la pluie, pour un mois de juin, l'été ne risque pas d'être caniculaire cette année encore…
Trop peu dormi. La nuit a été tellement interminable. Il est venu la rejoindre dans la chambre d’hôtel, il devait être 20h, elle était encore dans son bain. Cette chambre minable, pour un 2* à ce prix-là… A Paris, tous les excès sont permis, vraiment.
Et cette séance photo détestable, elle n’arrive pas à donner quelque chose de bon. Elle se sent si moche. Le malaise est là, on pourrait presque le toucher. Je crois que j’ai besoin d’être amoureuse du photographe pour réussir à donner le meilleur de moi. C'était si simple avec Jean-Yves à Noël. Alors que lui, Fred, je n’arrive pas à l’aimer, même un peu.
Il est tard, le lendemain elle aura 500km à parcourir, alors il est préférable qu'ils dorment. Même si elle ne l’aime pas, il a un corps attirant, rassurant, il est techniquement un bon amant malgré un manque évident de tendresse qu’il compense comme il peut par un peu de douceur, elle le sait puisque ils se sont enlacés toute leur première nuit ensemble, sans un seul moment de répit. Et pourquoi ne pas dormir un peu plus tard ? Pourquoi priver leurs corps ? Il en a envie lui aussi.

Et là, tout dérape, la colère, la violence… Pourquoi, elle ne comprend pas. Elle ne le comprend pas… Elle l’esquive, elle tente de l’apaiser… Rien à faire. Encore une nuit qui va être courte, mais cette fois-ci elle va être désastreuse, destructrice.

Dormir quand même un peu, elle doit dormir quand même un peu si elle ne veut pas avoir de problème sur l’autoroute. Elle regarde l'heure. A peine deux heures de sommeil.
Le réveil sonne.
Il part, sans un regard. Elle regroupe ses affaires et quitte la chambre.

Une contravention sur sa voiture, déjà, il est à peine 8h30. C’est un peu exagéré, non ? Paris, la ville où tout va vite, trop vite. Coffre ouvert, sac chargé. A quelques mètres, une école maternelle. Des parents qui embrassent leurs enfants, pour leur dernier jour d'école. Ça lui fait du bien de voir un peu d’innocence et de gaieté. Elle sort vite son appareil-photo, et elle shoote ces moments-câlin, ces bisous-tendresse, ces au-revoir de doudous serrés si fort dans toutes ces petites mains. Elle capture ces instants qui la touchent, la foudroient dans son histoire, dans son désir qu'elle a avorté. Elle fait bien attention à ne pas saisir les visages, elle respecte trop ces moments pour les voler complètement. Elle ne veut attraper que l'émotion. Elle n'est pas là pour voler l'intimité.
La tête lui tourne. Elle manque de sommeil.
Un homme l’aperçoit, un dernier au revoir à sa petite fille qu'il ne verra pas de tout un mois, et il vient vers elle. Elle dérange, elle l'imagine et le comprend. Elle commence à formuler ses phrases en le voyant arriver, pour lui expliquer ne vous inquiétez pas, je suis photographe amateur, je fais bien attention à ce qu’aucun visage ne puisse être reconnu, tous ces moments de bonheur me touchent tellement que je n’ai pas pu faire autrement, je vous présente mes excuses, je m’en vais, je peux vous montrer, vous ne verrez aucun visage…
- Mademoiselle, s’il vous plaît, que faites-vous ?
- Bonjour monsieur, ne vous inquiétez pas, je comprends votre inquiétude, je me permets de vous expliquer : je suis photographe amateur et je… je…
Et elle sombre, elle tombe, trou noir.

- Comment vous sentez-vous ?
Elle ouvre les yeux. Je suis où ? Qui c'est, ce type assis au pied du lit ?… Elle le reconnaît tout en sachant pertinemment qu'elle ne l’a jamais rencontré, surtout que ses seuls amis à Paris n’y sont pas en ce moment. Tout se brouille, elle ne comprend pas très bien. Respire, Ana, respire. Ferme les yeux. Ouvre-les à nouveau. Il est toujours là. Je rêve ou j'hallucine ? On m’a droguée ou quoi ? Elle est dans une chambre qu'elle ne connaît pas avec cet homme assis au pied du lit, avec… Melvin Luther assis au pied du lit. Ce n’est pas possible !
- Que s’est-il passé ? Je suis où ? Vous faites quoi ici ? Je fais quoi ici ? Je ne comprends rien. Et mon appareil-photo ?
- Du calme. Vous avez eu un malaise ce matin devant l’école de ma fille, vous étiez en train de prendre des photos. Je suis venu vers vous pour vous demander d’arrêter et vous vous êtes évanouie dans mes bras. Alors je vous ai ramenée chez moi, le temps que vous vous sentiez mieux, et depuis vous dormez.
- Ah… Il est quelle heure ?
- Il est presque 16h. Le médecin doit repasser dans bientôt.
- Oh non, ce n’est pas la peine. Je vais partir, ne vous embêtez pas. Je vous ai déjà assez ennuyé comme ça. Je suis vraiment désolée, je ne me rappelle de rien, je…
- Ne discutez pas. Attendez que le médecin revienne, on verra après. Vous êtes toute pâle, il est hors de question que je vous laisse prendre votre voiture dans cet état. Et je me présente, Melvin. Et vous ? Toi, je peux t'appeler comment ? Maintenant que tu as dormi dans mon lit, je crois que nous sommes devenus un peu plus intimes ? un sourire à ses lèvres.
- Ana. Je suis vraiment désolée. Je ne sais pas ce qu'il m'est arrivé. Je suis vraiment confuse, je ne veux pas vous déranger…
- Ce qu'il t'est arrivé ? Tu es juste tombée dans les pommes, ce matin. Et depuis, tu dors. Voilà, rien de plus. J'ai déjà vu des fans s'évanouir à mes concerts, mais là, si vite, juste à mon approche, j'avoue que je n'en reviens pas, il faut vite que j'arrête le métier, ça me dépasse vraiment tout ça, ironise-t-il… Ah, ton appareil-photo et tes affaires sont ici, et j'ai pris la liberté de garer ta voiture dans mon garage ce matin, pour t'éviter encore une contravention.
- Merci pour la voiture. Merci pour tout. Dans les pommes… Ok. Mais c'est pas à cause de vous… C'est juste que la nuit a été très difficile. Non pas que vous ne soyez pas à la hauteur de votre popularité… enfin je veux dire… Oh je me tais parce que plus je vais essayer de m'en sortir, plus je vais m'enliser dans les mots. Et si vous arrêtiez de vous moquer, ça m'aiderait bien, là…
- Oh non, tu me fais sourire. Pour une fois qu'on me dit franchement les choses, j'aime, vraiment. Merci jeune demoiselle. Tu veux boire quelque chose ? un verre d'eau, un café, un thé ? un thé à la menthe ? Tu veux quoi ?
Et elle s'assoupit et l'entend fredonner un air de Springsteen dans la cuisine, "Secret garden", tout en préparant un thé à la menthe "un vrai, comme ils m'ont appris dans le désert".

Il prend soin d'elle. Il a vu en la déshabillant le matin-même les bleus, les griffures trop récentes. Et la cicatrice. Il sent bien sa fatigue, son épuisement, sa lassitude. Elle n'en peut plus, elle n'arrive plus à le cacher. Il décide qu'il ne lui posera aucune question. Elle racontera si elle en a envie, besoin, si elle se sent en confiance. Elle réalise qu'il devine quelque chose. Il ne lui demande rien. Dans ses regards, elle l'en remercie. Il sait trop bien qu'à être trop interrogé, on se referme, on ne veut plus parler, on ne veut que le silence, l'isolement, la paix. Il connaît trop bien ce piège, il est tombé dedans l'année dernière quand sa femme est partie. Ils l'avaient décidé ensemble, mais ne plus entendre les rires de leur fille chaque jour était un crève-cœur insupportable.

Le médecin arrive. Stan, son ami d'enfance. De toute façon, depuis qu'il habite dans cet appartement, personne ne rentre sans montrer patte blanche, sincérité et CV. Cet appartement, c'est son refuge, son antre, propriété plus que privée, propriété isolée.

Elle est fatiguée, elle explique, le 13 février, le 12 avril, le 10 novembre, avant sa cicatrice. Elle raconte depuis sa cicatrice. Berlin, le 13 février, Jean-Yves, elle ne peut plus aimer, elle ne veut plus aimer, Berlin, le 10 novembre, le bureau, la misère des autres. Et la fatigue qui s'est installée, toujours là, fidèle… Elle n'en peut plus... Stan l'écoute. Ça va s'arrêter quand tout ça ? Mais jamais mademoiselle, c'est comme si vous mettiez un moteur de 2CV dans un semi-remorque, ça n'avance plus aussi vite, ça coince, c'est poussif.
Lui, à l'extérieur de la chambre, attend. Il écoute, il ne devrait pas, mais il s'inquiète, il a envie de comprendre. Il ne dira pas qu'il a entendu, même si elle l'aperçoit à l'embrasure de la porte, qu'elle sait qu'il entend, mais elle continue de parler, les mots sortent dans un flot incessant et si froid, toutes ses paroles sont glacées, dépourvues d'émotions. Il respectera. Il la respectera.

Ils mangent un peu au dessus d'un plateau-repas, tous les deux assis sur le lit. Ils parlent un peu de tout de rien de la pluie qui est là du beau temps qui tarde un peu, beaucoup de silences, des sourires, des regards gênés parfois, elle est mal à l'aise de cette situation. "Je suis en plein remake de Cendrillon et son Prince Charmant, version série B. C'est pathétique. Tu es vraiment pathétique ma pauvre fille". Elle voudrait partir en courant, elle voudrait même revenir en arrière et n'avoir jamais sorti son appareil-photo ce matin-là. Elle voudrait avoir sauté dans sa voiture, quitte à s'écraser sur la rambarde de l'autoroute. Il la rassure, avec des gestes pleins de gentillesse, avec ses yeux bleus remplis de compassion. Il est touché par cette fille échouée dans son lit. Il n'a pas envie de la brusquer, il n'a pas envie de la compter parmi sa "collection de jambes". Non, pas elle. Elle n'en veut pas à son image de chanteur-comédien reconnu. Elle s'en moque. Elle voudrait juste retourner chez elle, ou à défaut, pouvoir se glisser dans un trou de souris tellement elle se sent honteuse. Et pas à sa place. Il le voit. Il voudrait tout faire pour qu'elle se sente bien, comme chez elle, mais il n'ose pas, il a peur de passer pour ce qu'il a trop été décrit malgré lui, un séducteur, un Don Juan de tabloïdes. Ils sont gauches, maladroits. Ils se croisent. Ils s'observent. Ils s'écoutent.

Elle s'endort. Il relève la couette sur ses épaules. Il dépose un léger baiser sur ses yeux, il s'en veut après, mais c'était plus fort que lui. De toute façon elle dort déjà, elle ne s'en est pas rendu compte. Elle est dans son lit. Il ira dormir dans la chambre de sa fille, au milieu des nounours et des poupées, comme avant, quand il la berçait et qu'il s'endormait souvent avant elle.

Elle crie, elle hurle. Des mots incompréhensibles. Il va voir, vite. Elle dort, elle cauchemarde. Elle se réveille en sueur. Elle tremble. Il la prend dans ses bras pour la calmer. Elle se débat. Elle ne voit pas que c'est lui. Elle revoit l'autre, la nuit précédente, la haine, la violence, les coups. Elle a peur. Elle a froid. Terriblement froid. Il l'apaise, la tranquillise. D'une voix si douce.
- Chhhhhut, c'est moi, c'est Melvin. Tu es en sécurité. Tu ne crains rien. Je suis là. Regarde-moi, c'est moi, Mel.
- J'ai froid, j'ai trop froid.
Il l'abandonne quelques instants, le temps de lui faire couler un bain pour la réchauffer. Il revient, elle est en pleurs, effrayée. "Pourquoi tu m'as laissée ? Me laisse pas, me laisse plus !". Elle pleure tout ce qui lui fait mal, tout ce qui l'a touchée, tout ce qui l'a bouleversée, tout ce qui l'a malmenée, secouée, choquée, blessée, meurtrie. Elle pleure, elle ne peut plus arrêter les sanglots et les larmes qui roulent trop vite sur ses joues. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Pourtant elle se sent en sécurité, elle sait qu'elle peut se laisser aller. Il la prend dans ses bras et la berce doucement. Sans un mot. Il y a des moments où il ne faut pas toucher au silence. Il est musicien, il le sait. Elle s'épuise, les larmes l'épuisent. Elle tremble encore, elle a encore froid. Il l'emmène à la salle de bains, la dénude avec pudeur et la glisse dans l'eau chaude. Elle se recroqueville, comme un bébé. Il lui masse doucement la nuque et les épaules. Elle se détend, elle se sent déjà mieux. Il la laisse seule, il ne voudrait pas être incorrect.

Au bout d'une demie-heure, il retourne la voir. Elle semble terrifiée, ne plus savoir quoi faire, comment faire, perdue au milieu de toute cette eau tiédie. Il la relève, l'aide à passer le peignoir blanc épais et chaud. Puis la raccompagne dans la chambre, la guide vers le lit, l'allonge sous la couette. Il attend qu'elle retrouve le sommeil. Elle a encore froid, mais semble un peu plus apaisée. Ce bain lui a fait du bien, un peu. Elle est incapable de prononcer un mot. Elle le regarde si profondément pour le remercier, et pour lui demander son aide. Pour lui dire "je n'en peux plus, je ne sais plus… aidez-moi à retrouver un chemin, peu importe lequel, tant qu'il m'emmène loin de tout ça… aidez-moi… aide-moi je t'en prie… je te donne toute ma confiance, je me livre à toi, attrape ma main et guide moi, sors-moi de là, sors-moi de moi".



II.

Samedi 11h00
Une première nuit passée. Un premier matin. Il se réveille tout près d'elle. Elle a si mal dormi, elle a gémi, elle a crié, elle a pleuré, assaillie par toutes ses terreurs. Il a préféré passer la nuit sur le fauteuil en face du lit, pour la veiller. Il s'occupe d'elle comme il le peut, avec le peu qu'il sait d'elle. Presque rien et tellement à la fois.

Tout doucement, il lui réapprend à vivre tranquillement, sereinement. Leur nouveau quotidien s'organise autour d'elle. Elle et ses longues heures passées à dormir, à récupérer, à souffler, à ne se soucier de rien que de son repos. Ses peurs rythment leur vie. Ils parlent un peu plus. Ils échangent des idées, se confient l'un à l'autre parfois. Il prend souvent sa guitare, sa musique les aide à communiquer, à partager. Les cauchemars s'estompent. Les nuits sont plus calmes, mais il reste toujours tout près d'elle, pour bondir sur le moindre rêve malveillant et le chasser de sa tendresse et de son souffle sur ses yeux.

Dimanche 14h00
Déjà dix jours qu'elle se rétabli doucement, qu'il l'accompagne chaque moment dans chacun de ses efforts et de ses progrès. Ils semblent avoir trouvé un équilibre. Leur équilibre.
Première sortie, elle se sent assez forte pour affronter la ville. Le brouhaha incessant des rues parisiennes, les voitures qui vont et viennent, les touristes… Et les groupies, les regards qui se posent sur lui "Mais c'est Melvin Luther !" et sur elle "Mais il est avec qui ? On la connaît pas celle-là, jamais vue nulle part." C'est comme ça, c'est inévitable, elle doit s'habituer. Dans le quartier de leurs premières balades, autour de chez lui, les habitants le connaissent, et ne posent pas de question, il fait partie du paysage tout autant que la colonne Maurisse, ou ce vieux monsieur qui dort sur ses cartons près de la bouche de métro et vend ses journaux pour survivre. De temps en temps on peut entendre "Bonjour m'sieur Melvin, belle journée hein ! Enfin un p'tit bout d'soleil !" ou quelques mots dans la même idée. Rien d'agressif. Ce qui est bien, car ils refusent de se laisser heurter par quoi que ce soit. Ils veulent juste profiter du temps qui passe, se découvrir, s'apprendre l'un l'autre. Ils se rapprochent imperceptiblement au fil des jours, ils se créent une complicité, rient ensemble, se racontent leurs souvenirs, pleurent parfois devant un vieux film un peu mélo. Toujours avec cette distance si fragile qu'ils s'imposent sans se le dire. Par peur de rompre le charme de cette histoire qu'ils écrivent ensemble, la leur. Même si leurs doigts s'effleurent accidentellement, de temps à autre, et s'éloignent trop vite, de peur de gêner l'autre. Les bleus de leurs yeux se confondent déjà tout le temps, alors autant éviter que leurs peaux n'en fassent de même, elles qui n'attendent que ça.

Il recommence enfin à répondre au téléphone. Ses amis s'interrogent sur cette absence qu'il impose et qui ne lui ressemble pas. Il hésite à leur parler d'elle. Ils ne comprendraient pas. Ils ne comprendraient pas que je l'ai recueillie chez moi, ils ne comprendraient pas qu'elle dort dans mon lit et moi dans le fauteuil, ils ne comprendraient pas que nous ne nous touchons pas comme ils l'entendent, que nous ne nous embrassons pas, que nous ne faisons pas l'amour. "Mel, sors, rencontre des filles, bouge-toi, séduit, drague, couche avec elles, elles n'attendent que ça !" Et là, elle, toute cette attention, toute cette pudeur entre elle et lui, ils ne comprendraient pas. Mais elle fait partie de sa vie, elle en fait partie intégrante. Elle est là, elle prend toute la place qu'il lui laisse, qu'il lui offre. Alors pourquoi la cacher encore ? Ils ne s'embrassent pas, ils ne dorment pas ensemble, et après ?… Quelle importance ce qu'en pensent les autres. Si ses amis sont de vrais amis, ils accepteront à défaut de comprendre.

Lundi 13h00
Ils se promènent dans le Marais et croisent Tybalt Kostja, dans une galerie d'art. Les deux grands amis s'embrassent.
- Tybalt, je te présente Ana.
- Ravi, mademoiselle.
Elle tend une main timide à cet homme dont elle admire le nouveau travail musical, la carrière internationale et surtout les yeux bleus qui ont osé défier Angeles Jelka, la plus belle star Hollywoodienne, cette trop brune trop belle trop tout trop déprimante…
Ils décident de déjeuner ensemble. Enfin un moment pour se voir depuis presque six semaines. Ils s'attablent à une terrasse, tout près de l'église Saint-Gervais. Ana est désorientée. Quelle est sa place entre ces deux noms du 7ème Art français ? Elle se dit qu'elle va se réveiller. C'est incroyable. Si il lui avait été raconté un jour qu'elle se retrouverai là, à cette table de brasserie parisienne, à côté de Luther et en face de Kostja, jamais elle ne l'aurait cru.
Elle n'ose rien dire. Elle s'arrête ici dans la conversation. Ils entament un débriefing de l'Olympia du mois dernier, où Melvin a prêté la scène à Tybalt le temps d'une chanson, une reprise d'Otis Redding, "Sitin' on the dock of the bay". Elle les laisse parler, elle les écoute. Elle n'ose pas intervenir, elle est bien piètre musicienne pour se permettre une quelconque réflexion. Elle se sent si petite. Que fait-elle là ? Elle ne se sent pas à sa place, vraiment pas. C'est carrément du grand n'importe quoi cette situation.
- Vous avez assisté au concert, Ana ? lui demande Tybalt… Anabelle ?
- … Pardon, vous m'avez parlé ? Excusez-moi, je ne vous écoutais pas, je vous laissais discuter entre vous, je ne voulais pas m'immiscer, je suis confuse… elle est surtout déroutée par sa carrure et sa prestance, le calme qu'il dégage, et particulièrement par le regard qu'il porte sur elle et Melvin, un regard bienveillant, un regard qui leur souhaite d'être heureux ensemble, un regard inutile puisqu'il ne se passe rien, quel imbécile ce Tybalt.
- Je vous demandais si vous avez assisté au concert.
- Non, je ne suis sur Paris que depuis deux semaines, et je vais bientôt rentrer chez moi.
A cette annonce, Melvin s'assombrit, son visage se ferme, il est touché, attristé par cette nouvelle, mais il ne le dira pas. De quel droit lui demanderai-t-il de rester alors qu'il ne se passe rien d'autre entre eux qu'une amitié grandissante ? Qui a déjà peut-être trop grandit…
- Ah bon ? Et vous êtes d'où ?
- Je suis lyonnaise.
- Ah ! Lyon… La Croix-Rousse, ses traboules, ses bouchons… Une belle ville, Lyon. Je n'y suis jamais resté longtemps, mais j'aime bien, surtout la nuit. Dis, Melvin, tu connais toi ? Tybalt l'a questionné tout naturellement, pour essayer d'en savoir plus sur les liens qui l'unissent à cette jeune fille timide et pourtant là, rien à voir avec toutes les autres femmes qui se sont pavanées au bras de son ami, rien à voir même avec son ex-femme, une façon de poser la question avec beaucoup de discrétion, comme à son habitude.
- Non, pas encore, j'y suis passé quelques rares fois pendant mes tournées, c'est tout… et un temps sans paroles, durant lequel toutes les pensées, toutes les interprétations se jettent à cœurs perdus. Ana veut rompre ce silence trop lourd, elle se lance, elle ose :
- Je suis tombée un jour complètement par hasard à la Fnac, sur "Ce lien qui nous unit". Je l'ai acheté, très attirée par les photos, cette connivence entre ce magnifique cheval blanc et vous... J'ai beaucoup aimé dans l'ensemble. Pas tout, mais une bonne partie.
- Ah bon ? C'est si rare de rencontrer des gens qui connaissent mon CD, qui savent que je chante aussi. Merci, jeune demoiselle, lui abandonne-t-il avec un sourire tellement chaleureux et sincère.
Et ils échangent leurs impressions, passent en revue chacun des morceaux de cet album. Elle est heureuse de participer un peu à la conversation.
Ils se séparent, enchantés de ce déjeuner inattendu. Elle trouve qu'elle s'en est pas trop mal tiré, même si ce n'est pas si facile pour elle, non pas de converser, bien qu'elle est assez réservée en général, mais surtout de passer outre le regard des passants, et surtout des passantes, tournés vers les deux hommes et par débordement sur elle aussi. Melvin et Tybalt n'y ont sans doutes pas fait attention, leur quotidien doit grouiller de ces regards envieux, cupides. Mais plus d'une jeune fille, plus ou moins jeune d'ailleurs, a observé avec convoitise les deux hommes, et a fait glisser ses yeux sombres sur la jeune femme qui osait partager "leur table à Eux", avec interrogation et jalousie.

Jeudi 15h00
- Un dîner tout ce qu'il y a de plus simple, rassure-toi Ana.
- D'ac. Il y aura qui ? Enfin non, ma question est stupide, je ne connais pas ton monde. Je voulais dire, on sera combien ?
- Oh, juste Jeffrey et Lucie avec leur fille, Stan, et Jean-Paul est à Paris, il viendra aussi, et puis Coralie peut-être. Donc on sera sept et la puce.
Elle lui demande de préciser : Jeffrey et Lucie Henry, rien que ça, et Jean-Paul Golven, ben voyons… Et Coralie… Elle a peur de la réponse : Coralie Kraft. Cette si jolie jeune fille aux long cheveux bouclés qui lui a chanté, à lui, "Je ne veux qu'Il" sur son album précédent. Anabelle est jalouse, pas cette fille bien plus jolie que moi, bien plus talentueuse, bien plus charmante, bien plus charmeuse, non, pas elle. Elle aurait voulu lui chanter, elle, Ana à lui, Melvin "J'ai beau chercher d'autres arrivées, je ne veux qu'Il" et lui, lui répondre à elle "J'ai beau savoir, ne plus y croire, je ne veux qu'Elle" à elle, pas à l'autre, pas Coralie, non.
Voilà, pour lui, un dîner tout ce qu'il y a de plus simple. Pour elle, l'impression d'être plongée de force dans un magazine people à grand tirage. Un de ces magazines pour voyeurs, pour ceux qui n'ont tellement rien dans leur vie qu'ils volent celle des autres pour rêver un peu, et se regarder, et regarder leur vie, et vouloir se tailler les veines après un peu aussi.
- Et tu veux que je fasse quoi au milieu de vous tous ? Tu veux que je parle de quoi ? Stan ne sera pas ici pour faire le doc, Golven, je pourrai toujours lui parler de son ami Dédé, et de Eric "la Tchatche", des copains de bringue d'il y a quelques années, des voisins de Mike Jent. Mais les autres, je leur parle de quoi ? Des dernières horreurs que j'ai lues quand j'étais aux plaintes ? Ou bien des congels remplis de viande froide dans les labos de la scientifique ? Je peux même raconter le squelette de bébé, parti dans les déchets biologiques à défaut de sépulture… elle est agressive, elle s'en rend compte, elle s'en veut mais c'est plus fort qu'elle, elle panique. Je peux aussi vous raconter les fins de mois difficiles, les factures à régler on ne sait pas comment, les dossiers pour les allocs, le garagiste qu'on ne pourra pas payer… Je ne suis pas de votre monde Melvin, je n'ai rien à faire à ce dîner, je vous laisserai entre vous, je veux pas y assister, c'est pas possible, je pourrai pas.
- Hey, Ana, t'inquiète pas, ils sont comme toi et moi, ils sont normaux, ils ont deux bras, deux jambes comme tout le monde, ne panique pas comme ça. Et tu leur raconteras tes photos…
- Tu es sûr ? Je me sens vraiment pas à la hauteur. On est trop différents, on…
- Regarde nous deux, tout se passe très bien, et pourtant si je rejoins ton raisonnement, je fais partie de leur monde, pas du tien, donc on a rien à faire ensemble... Alors il n'y a aucune raison pour que ça se passe mal, et je serai là, c'est pas comme si tu étais seule face à eux.
Oui, peut-être, elle n'est pas convaincue, mais soit. Elle veut bien essayer. Elle veut lui faire plaisir, et puis c'est une façon de le remercier pour tout ce qu'il fait pour elle depuis plus de dix jours. Et puis elle aura peut-être des nouvelles des deux compères Dédé et Eric "la Tchatche", sait-on jamais…
- Et puis elle sera là, je suis pas sûre de m'en sortir là, pas elle… elle a exprimé sa jalousie, cette jalousie bassement féminine, cette jalousie qui la révulse au plus haut point mais qu'elle ne contrôle pas. Non, pas elle, j'ai plus qu'à faire mes bagages et prendre la route maintenant. Je peux pas rester à côté d'elle, c'est pas possible.
- Elle ? Qui, Elle ?
- … Coralie Kraft.
- Coralie ? Mais tu crois quoi ? Que Coralie et moi…? Mais non, rassure-toi, non.
- On a le même âge sensiblement, elle est tellement belle, elle a réussi, et moi… Moi j'ai tout raté… Pas elle s'il te plaît. Elle me fait peur, me retrouver en face d'elle me fait peur. Me retrouver en face de la beauté et la réussite alors que je suis moche et que j'ai échoué de partout me fait peur… et les larmes mouillent ses jouent.
- Vous n'avez pas eu la même vie, vous n'avez pas eu les mêmes chances. Et pourtant vous êtes là toutes les deux, chacune différente, mais toutes les deux avec ce point commun : ici, ce soir, à cette même table. Tu es là, tu as eu une route tortueuse, difficile, il t'en a fallu du courage Ana pour arriver ici…
- Tu parles, je suis ici parce que je me suis effondrée au bon moment au bon endroit, je n'ai aucun mérite, juste de la chance, pour une fois…
- Non. Je parle de tout le chemin avant. Tu as eu la force d'avancer alors que plus d'un ou plus d'une aurait baissé les bras. Merde Ana !! Tu es là et tu prends toute la place et j'aime que tu prennes toute cette place !! Et ce sera à Coralie de se remettre en cause, pas à toi. A elle de prendre une leçon de courage et d'humilité. Tu Es Là bordel !! N'oublie jamais que Tu Es Là. Viens dans mes bras, viens ma belle…
Il l'enlace, il la serre aussi fort qu'il le peut contre son corps, contre son cœur, il veut la rassurer, il veut la bercer, la protéger de tout. Il efface ses larmes avec ses baisers. Il voudrait l'embrasser, poser ses lèvres sur les siennes, mais il se l'interdit. Elle s'abandonne dans les bras si forts de cet homme qui est en train de briser toutes les carapaces qu'elle avait bien prit soin de reconstruire une à une après Jean-Yves. Elle refoule ses envies, elle refuse d'écouter son corps, son cœur, elle ne veut pas gâcher ces merveilleux moments ensemble. Et surtout elle ne veut plus souffrir, alors elle ne veut plus aimer, jamais. Demain elle partira, ce sera mieux. Elle a tellement peur de lui faire mal qu'elle ne trouve pas le courage de lui annoncer maintenant, dans ce si doux moment. Elle lui dira plus tard, quand elle aura préparé ses bagages… Demain…



III.

Jeudi 21h00
Ils sont tous attablés. Elle s'est sentie dévisagée pendant l'apéritif, observée, par Lucie et Coralie, d'un air si supérieur. Comme pour lui dire qui es-tu toi, la nouvelle curiosité qui ose accaparer Notre ami ? Et au cours du repas, les œillades de Coralie à Melvin, elle se demande ce qu'il fait avec cette provinciale, et il a la délicatesse de ne pas lui répondre.
Et Lucie qui méprise tant ceux qu'elle appelle les petites gens, celles qui ne sont pas du même monde qu'Eux, artistes. Pourtant celles-là même qui lui permettent justement de vivre dans ce monde de nantis, en achetant les albums de son mari, en allant voir ses films, en payant jusqu'à 150€ pour un seul de ses concerts… Pour une ambassadrice d'ONG internationale, de tels positionnements ne sont pas très corrects. Ana le lui fait remarquer.
- Mais qui es-tu pour oser de tels propos Ana ? Tu ne connais rien à nos vies, les sacrifices que nous devons faire, tous les problèmes que nous pouvons avoir.
- Non, c'est vrai. Par contre je sais ce que c'est que d'aller travailler 8 heures par jour, enfermée dans un bureau, pour un métier qui ne nous plaît pas, quand il ne nous détruit pas,
pour gagner à peine de quoi survivre une fois qu'on a payé toutes les factures.
- Mais c'est que toi, tous ces gens, vous avez fait les mauvais choix, ce n'est pas de notre faute à nous, célébrités, si vous n'êtes pas capable de faire partie de notre cercle.
- Les mauvais choix ? La plupart des gens dans ce pays ont un seul choix : aller travailler quel que soit le job et le salaire et les conditions, ou bien se retrouver à la rue.
- Ce n'est pas de ma faute.
- Je n'ai jamais dit que c'était de ta faute, Lucie. Seulement je trouve que tu manques fortement de considération pour ces gens-là, surtout que ce sont eux qui vous font vivre, toi et ton mari, vous tous artistes, ne l'oublies pas. Et je trouve que ce manque de considération est regrettable pour des gens qui prêtent leur nom aux Restos du Cœur, entre autre, à toutes ces associations caritatives qu'ils représentent… Des associations qui ne se veulent qu'altruisme, et non pas outils de promotion. Je vais même te dire qu'un tel mépris pour le public et de tels propos me dégoûtent. Je ne comprends même pas comment tu peux penser tout ça.
- Il y a deux camps dans la vie, les chanceux qui ont de l'argent, et les autres. Ne reproche pas aux autres, au monde entier d'être tombée dans le mauvais camp ma chérie.
Et Ana se lève de colère. Comment supporter un tel discours ? Elle va se réfugier dans la cuisine en prétextant aller chercher la suite du repas.
- Très bien chère Ana, chacune à sa place. Moi ici avec mon mari et mes amis, et toi à la place des petites gens.
Ana contient sa rage aussi bien qu'elle peut. Melvin la rejoint. La discussion s'anime, s'électrise dans l'autre pièce. Elle n'entend pas, tellement la colère l'envahit. Elle n'entend pas Jean-Paul et Stan qui rappellent à Lucie son privilège de mener cette vie, et pourquoi les Restos existent encore, malheureusement…
- Mais pour qui elle se prend ? Tu as entendu son discours ? Parce qu'elle s'appelle Henry elle est devenue la reine du monde et a le droit de mépriser les autres ? C'est qui, cette conne ? Et elle a osé m'appeler ma chérie ! Mais elle est vraiment puante !
- Calme toi Ana. Laisse-la dire ce qu'elle veut. On sait, personne n'est dupe, elle ne changera pas. Elle est méprisante, Tout Paris la connaît.
- Et puis vous ensemble et moi à la cuisine, elle me prend pour qui ?
- Chhhhhhut… il la prend dans ses bras. Ils se regardent quelques secondes. Des secondes qui semblent de longues minutes. Il dépose un baiser sur ses lèvres, tout naturellement, pour la rassurer. Elle est surprise ! Elle fuyait ce geste et elle en avait envie depuis si longtemps. Elle ne sait plus quoi penser.
Ils se lâchent tout aussi vite et retournent autour de la table. L'ambiance est froide. Les propos de Lucie ont choqué, la véhémence avec laquelle a réagit Ana a surprit. Elle ne se laissera pas faire. Elle se sent en trop. Elle est encore en convalescence, elle est fatiguée, elle s'excuse, salut tout le monde et va s'enfermer dans la chambre, au calme. Elle part dans sa bulle, elle s'isole du reste du Monde, dans Son monde A Elle. Elle s'endort.

Elle se réveille en sursaut, n'entend plus de bruit dans l'appartement. La nuit est noire et silencieuse. Elle jette un œil sur le réveil, presque 3 heures. Tout lui revient. Ces dix jours, lui, hier soir, lui… Lui… Elle réfléchit. Elle doit rentrer chez elle. Elle n'appartient vraiment pas à ce monde du paraître. Et elle ne veut plus aimer. Et elle se sent glisser dangereusement vers les douleurs du cœur. Tout passe si vite dans son esprit. Partir, vite, tout à l'heure. Elle se lève, enfile son peignoir, va boire un verre d'eau dans la cuisine. Elle le voit. Il est assis par terre, adossé au canapé, comme il aime, dans la pénombre, à la lueur de quelques bougies et des lumières de la ville, sa guitare dans les bras, il joue tout doucement, il chantonne. Elle entre dans le salon, il ne la voit pas, ne l'entend pas arriver, il lui tourne le dos, il est plongé dans sa musique. Il compose, il est inspiré. Les notes et les mots coulent d'eux-mêmes… Elle s'approche, debout tout contre lui.
- Melvin, je pars demain matin… il la regarde, ébahit, assommé par la nouvelle.
- Ce n'est pas possible Ana. Non.
- Si, Mel. Je ne suis pas à ma place ici. Nous n'appartenons pas aux mêmes foules. Et je préfère partir tant qu'il n'est pas trop tard encore.
Il pose sa guitare. Ce soir, il composait pourtant grâce à elle. Pour Elle "… Moi qui n'avais plus l'envie d'aimer, me voilà pris dans le tourbillon salé des larmes et des baisers, des rires et de la joie de vivre…" Il tend le bras, lui attrape doucement les jambes, la plaque contre lui. Glisse une main sous le peignoir. Pose sa main sur sa cuisse. Défait le nœud de la ceinture. Respire cette peau qui l'attire tellement depuis qu'il la vue devant l'école. La pousse tendrement sur le canapé. L'enlace. L'embrasse si fort. Comme assoiffé d'elle. La caresse. Elle murmure il ne faut pas. Elle se laisse faire pourtant… Elle lui enlève sa chemise. Leurs corps se touchent enfin. Leurs peaux se reconnaissent. Il la porte jusque dans la chambre. Ils s'unissent... Ils s'offrent l'un à l'autre, l'un pour l'autre. Se donnent leurs plaisirs. Avec douceur. Avec force. Avec tendresse. Avec un immense amour…
Ils s'aiment et s'en épuisent. Ils se sont enfin trouvés. Ils se sont reconnus.
- Et demain ? elle ose à peine prononcer ces deux mots, tellement effrayée par la réponse.
- Demain, ensemble. Toujours.
Il la rassure. Il se rassure…
Ils s'endorment, ensemble. Pour la première fois ensemble, pour l'éternité ensemble…



IV.

Vendredi 8h30
Elle ne veut pas arriver trop tard à Lyon, et à cette heure de pointe, combien de temps lui
faudra-t-il pour rejoindre le périphérique ? Gare de l’Est, Bastille… Elle ne sait plus, elle est perdue dans cette ville. Elle verra bien, elle trouvera bien un panneau qui l’inspirera. Sans compter la pluie, pour un mois de juin, l'été ne risque pas d'être caniculaire cette année encore…
Trop peu dormi. La nuit a été tellement interminable. Il est venu la rejoindre dans la chambre d’hôtel, il devait être 20h, elle était encore dans son bain. Cette chambre minable, pour un 2* à ce prix-là… A Paris, tous les excès sont permis, vraiment.
Et cette séance photo détestable, elle n’arrive pas à donner quelque chose de bon. Elle se sent si moche. Le malaise est là, on pourrait presque le toucher. Je crois que j’ai besoin d’être amoureuse du photographe pour réussir à donner le meilleur de moi. C'était si simple avec Jean-Yves à Noël. Alors que lui, Fred, je n’arrive pas à l’aimer, même un peu.
Il est tard, le lendemain elle aura 500km à parcourir, alors il est préférable qu'ils dorment. Même si elle ne l’aime pas, il a un corps attirant, rassurant, il est techniquement un bon amant malgré un manque évident de tendresse qu’il compense comme il peut par un peu de douceur, elle le sait puisque ils se sont enlacés toute leur première nuit ensemble, sans un seul moment de sommeil. Et pourquoi ne pas dormir un peu plus tard ? Pourquoi priver leurs corps ? Il en a envie lui aussi.

Ils se caressent, ils s'embrassent. Leurs corps se bousculent, se mélangent, ensemble et pourtant si loin l'un de l'autre, si seuls dans leurs plaisirs… et s'éloignent tant qu'ils peuvent dans ce lit pas assez grand.

Dormir quand même un peu, elle doit dormir quand même un peu si elle ne veut pas avoir de problème sur l’autoroute. Elle regarde l'heure. A peine deux heures de sommeil.
Le réveil sonne. Mel… Elle a rêvé. Elle l'a rêvé, seulement rêvé.
Fred… Il part, sans un regard. Elle regroupe ses affaires et quitte la chambre.

Une contravention sur sa voiture, déjà, il est à peine 8h30. Et merde… Gare de l'Est, Bastille… Autoroute A4, direction chez elle, nulle part ailleurs que chez elle… Dans son pauvre monde…

Fin.

IsabelleC.

Bruce Springsteen -Secret Garden-




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